Une note de conjoncture récente de l’Insee met en évidence que, dans une économie mondiale chamboulée dès le début d’année 2025 du fait du relèvement massif des droits de douane aux Etats-Unis, l’activité française s’essouffle et le taux d’épargne des ménages a atteint, au premier trimestre 2025, un niveau inédit.
Contexte international : un commerce mondial chamboulé dès le début d’année 2025
L’impact sur le commerce mondial du relèvement des droits de douane aux Etats-Unis
L’arrivée de la nouvelle administration américaine a chamboulé l’économie mondiale dès le début de l’année 2025. Anticipant un relèvement massif des droits de douane américains, les industriels du monde entier se sont empressés d’expédier des marchandises : le commerce mondial a bondi de 1,7 %, tiré par l’envolée des importations aux Etats-Unis (+9,3 %). L’Europe a connu un regain d’activité, tout comme la Chine où la croissance repose à moitié sur le commerce extérieur.
L’embellie du commerce mondial n’a été que temporaire. Malgré la mise en pause des « tarifs réciproques » annoncés le 2 avril 2025 par l’administration Trump, et même s’il est difficile de prévoir les décisions à venir, les droits de douane américains ont d’ores et déjà augmenté depuis le 1er avril, à un niveau inédit depuis la Seconde Guerre mondiale. Les premières données confirment un effondrement des importations américaines au printemps 2025 : le commerce mondial se replierait au deuxième trimestre (-0,7 %), puis resterait freiné au second semestre (+0,4 % par trimestre). La demande intérieure américaine commencerait par ailleurs à ralentir : la confiance des consommateurs vacille, les dépenses publiques marquent le pas et les entreprises voient leurs perspectives s’assombrir. Au total, l’économie américaine ralentirait en 2025 (+1,8 % après +2,8 % en 2024). La baisse des ventes aurait un impact sur l’activité dans les pays les plus exportateurs vers les États-Unis, à commencer par la Chine.
L’activité de la zone euro se maintient
Malgré le retournement des échanges mondiaux, les industriels sont un peu moins pessimistes dans toute la zone euro (et, en particulier, en Allemagne) sur leurs perspectives d’activité. L’investissement reprend, profitant des baisses de taux d’intérêt.
En outre, les ménages consomment un peu les gains de pouvoir d’achat permis par le recul de l’inflation : après avoir été porté en 2024 par l’indexation de certains revenus sur l’inflation passée, le pouvoir d’achat ralentirait nettement en 2025 mais les ménages baisseraient un peu leur taux d’épargne.
Au final, l’activité de la zone euro marquerait le pas par contrecoup au deuxième trimestre (+0,1 % après +0,6 %) puis progresserait encore faiblement au second semestre (+0,2 % par trimestre). Sur l’ensemble de l’année, l’activité accélèrerait (+1,3 % après +0,8 %). Les disparités entre pays restent fortes mais s’atténuent. Le réveil de l’investissement européen réactive les échanges commerciaux intra-zone euro : malgré la politique américaine, la demande mondiale adressée à la France accélèrerait nettement en 2025 (+2,7 % après +1,5 % en 2024) et progresserait plus vite que le commerce mondial.
En France : ralentissement de l’activité et augmentation de l’épargne des ménages
Ralentissement de l’économie française en 2025
L’économie française ralentit en 2025, à contre-courant du mouvement européen. Au premier trimestre, elle n’a pas bénéficié de la ruée commerciale : l’activité a à peine progressé (+0,1 %) et les exportations, dépendantes des à-coups des secteurs aéronautiques et navals, ont plongé (-1,8 %). Alors qu’en 2023 et 2024, l’activité française avait plutôt mieux résisté (+1,6 % puis +1,1 %) que dans les autres pays européens, les moteurs de l’économie française s’essoufflent : les dépenses publiques ralentissent et les exportations déçoivent malgré le retour de la demande. L’investissement repart moins nettement qu’ailleurs en Europe.
Côté consommation, bien que leur pouvoir d’achat ait été mieux préservé qu’ailleurs, les ménages français dépensent au compte-gouttes : hors crise sanitaire, leur taux d’épargne a atteint, au premier trimestre, un niveau inédit depuis 45 ans. L’activité resterait fébrile jusqu’à la fin de l’année : les entreprises interrogées dans les enquêtes de
conjoncture jugent toujours majoritairement leurs carnets de commandes inférieurs à la normale et le climat des affaires campe significativement en deçà de sa moyenne de long terme.
Sur l’ensemble de l’année, la croissance française atteindrait +0,6 %, en net ralentissement par rapport à 2024 (+1,1 %), un peu à rebours du mouvement européen.
Inflation faible et consommation qui n’accélère pas
Les ménages français continueraient de bénéficier d’une inflation durablement plus faible que dans le reste de la zone euro : tombée à +0,7 % en mai, elle s’établirait autour de +1 % en fin d’année. Cette inflation faible n’empêcherait pas un net coup de frein sur le pouvoir d’achat (+0,7 % après +2,5 % en 2024). En 2024, le pouvoir d’achat des ménages français a connu une embellie, porté par les indexations sur l’inflation passée, en particulier des retraites, mais la consommation n’a pas suivi (+1,0 %) et le taux d’épargne a de nouveau augmenté.
Plusieurs facteurs expliquent cet attentisme : outre des facteurs d’incertitude sur la politique économique, l’inflation perçue est encore élevée, le marché automobile est en transition et la part des revenus du patrimoine dans le revenu total a fortement augmenté à la faveur des hausses de taux.
Une épargne des Français qui atteint des sommets
Le taux d’épargne des ménages semble toutefois avoir atteint un sommet en début d’année 2025 : il s’établit à 18,8 % en début d’année, au plus haut depuis la fin des années 1970, hors période exceptionnelle de confinements pendant la crise sanitaire.
4 ménages sur 10 déclarent mettre de l’argent de côté. La proportion dépend de l’âge des ménages. C’est surtout parmi ceux avec les revenus les plus aisés et parmi les plus âgés que cette proportion a fortement augmenté. Plus de la moitié des épargnants déclarent mettre de l’argent de côté pour se protéger en cas de coup dur : cette épargne de précaution est plus fréquente chez les plus modestes et décroît lorsque l’on s’élève dans l’échelle des niveaux de vie. À l’inverse, épargner en vue de la réalisation d’un achat important (y compris un achat immobilier) ou dans la perspective de la retraite ou d’un changement professionnel est plus fréquent pour les ménages avec les revenus les plus aisés. Enfin, transmettre à des proches ou leur porter assistance est la motivation principale de l’épargne pour plus de 10 % des épargnants quel que soit leur niveau de vie. Les motifs d’épargne sont également différents selon les catégories d’âge : les épargnants de plus de 64 ans sont prioritairement motivés par des motifs de précaution et de transmission, quand les moins de 35 ans épargnent pour la perspective d’un achat futur.
7 ménages sur 10 déclarent limiter leur consommation. Un tiers des ménages limitent leur consommation en raison de leur contrainte budgétaire, surtout chez les plus modestes. Un cinquième le fait pour pouvoir mettre de l’argent de côté, et environ 10 % dans un souci de préserver l’environnement, qui est une motivation plus fréquente chez les plus aisés, les jeunes et les urbains.
Le taux d’épargne amorcerait toutefois une décrue d’ici la fin de l’année. En effet, les ménages lissent les fluctuations de leur revenu : or, celui-ci reculerait au second semestre car le solde de l’impôt sur le revenu rebondirait fortement, et les revenus du patrimoine s’effriteraient avec la baisse des taux. En moyenne sur l’année, la consommation progresserait seulement au même rythme que le pouvoir d’achat (+0,7 %) et le taux d’épargne serait stable alors qu’il baisserait ailleurs en Europe.
L’investissement peine à redémarrer
Côté entreprises, les signaux sont contrastés : les achats de biens d’équipement semblent avoir atteint un plancher mais la résilience des dépenses en services, en particulier informatiques, faiblirait nettement. En 2025, les marges des entreprises se dégraderaient dans les branches de l’énergie et des services de transport, du fait du recul des cours de l’électricité et du fret maritime, mais seraient plutôt stables pour le reste des entreprises grâce à la baisse du prix du pétrole.
Malgré ces bons résultats d’exploitation, la situation financière des entreprises françaises continuerait de se dégrader en 2025 : elles souffrent en effet de taux d’intérêt plus élevés pour les nouveaux crédits que ceux arrivant à échéance, et les plus grandes d’entre elles subiraient en outre en fin d’année le prélèvement fiscal exceptionnel de la loi de finances pour 2025.
Après deux années de fort repli, la construction de logements neufs semble avoir atteint un plancher et les signes de reprise se multiplient : les mises en chantier et permis de construire se redressent et les promoteurs mettent à l’étude de nouveaux projets. À l’inverse, la composante de l’entretien-amélioration, qui maintenait à flot l’activité, semble fragilisée. Dans l’ancien, les transactions immobilières ont vivement repris depuis deux trimestres, encouragées par la baisse des taux d’intérêt.
Le commerce extérieur ne soutient plus la croissance
La déception française sur l’ensemble de l’année proviendrait du commerce extérieur. Les aléas climatiques entraîneraient un repli en 2025 du solde des échanges en électricité et en produits agricoles, ces deux segments ayant nettement contribué à la performance française l’an passé.
Les exportations de produits manufacturés, hors secteur aéronautique et naval, resteraient étales (-0,2 % après +0,3 % en 2024), matérialisant de nouvelles pertes de parts de marché des industriels français. Les livraisons prévues d’avions et de bateaux compenseraient en partie cet affaiblissement mais, sur l’ensemble de l’année 2025, le commerce extérieur ôterait 0,7 point de croissance alors qu’il y avait contribué positivement les deux années précédentes.
Le marché du travail se retourne, le chômage augmente
Sur le marché du travail, l’emploi salarié s’est nettement retourné depuis deux trimestres, l’économie française détruisant plus de 120 000 postes salariés. Le climat de l’emploi est inférieur à sa moyenne de longue période depuis l’été 2024 et s’est de nouveau dégradé depuis le début de l’année 2025, les entreprises rétablissant leur productivité.
Dans le même temps, les subventions liées aux politiques de l’emploi se compriment, qu’il s’agisse des aides à l’apprentissage ou des enveloppes d’emplois aidés. L’emploi salarié baisserait ainsi de 90 000 postes supplémentaires d’ici la fin de l’année, aux deux tiers d’alternants.
Au total, environ 210 000 emplois salariés seraient perdus en cinq trimestres. Conjuguée à l’augmentation de la population active engendrée par la montée en charge de la réforme des retraites, cette baisse de l’emploi pousserait le taux de chômage à la hausse à 7,7 % fin 2025.
Source : Étude Insee – « L’épargne des ménages au sommet » (Note de conjoncture – juin 2025)
Pour aller plus loin :